Premiers occupants installés depuis 3500 ans et peut-être plus, les Mélanésiens de Nouvelle-Calédonie ont d'étroites similarités physiques et culturelles avec les populations installées en Nouvelle-Guinée il y a plus de 40000 ans, et dans l'archipel des Salomons il y a 35000 ans. Ils sont aussi très proches des populations du Vanuatu. Ils ont été en outre marqués linguistiquement et génétiquement, par les migrations des groupes Austronésiens qui se sont établis aux Philippines et en Indonésie il y a 4000 ans et qui ont colonisé les îles du centre Pacifique ensuite (Polynésiens). Les austronésiens ont laissé des témoins d'établissements côtiers (culture Lapita) en Nouvelle-Calédonie. Leur influence linguistique a été profonde car toutes les langues de Nouvelle-Calédonie sont austroniésiennes. Les peuples de Nouvelle-Calédonie ont en outre subi l'influence périodique ultérieure des habitants des Tonga, Fidji, Îles Wallis et Futuna.
A l'arrivée des Européens, c'était une population qui avait donc une longue histoire et une culture trés achevée. Cette civilisation qui usait alors encore d'outils de pierres polies et de bois est qualifiée de néolithique, mais ceci n'enlève rien à sa complexité et à sa capacité éprouvée à maintenir de façon durable sa population en harmonie avec son environnement naturel.
La colonisation a bouleversé son espace et déstructuré en partie son organisation. Le mode de vie européen a pris le pas sur le mode traditionnel. Malgré tout c'est une communauté qui fait face au défi d'adaptation au monde moderne sans renoncer à sa culture et à certaines de ses traditions.
Le clan
Le clan est la base de l'organisation traditionnelle. Son nom est celui de la "Grande Case" qui en est le symbole avec sa flèche faîtière (photo ci-contre). A ce nom sont associé des lignées familiales, un territoire, des ancêtres, une histoire. La signification du nom est trés forte. Aujourd'hui encore les noms claniques et les noms des lignages qui y sont rattachés, permettent aux enfants métis des clans d'être reconnus membres du clan et canaques.
Le clan est constitué de parents sur cinq générations, grands-pères, pères, frères, fils et petits-fils. Il est mythiquement issu d'un ancêtre à partir duquel il se scinde en autant de lignages d'hommes qu'il y avait de frères à cette origine.
Lignages et fonctions
Les lignages sont hiérarchisés dans l'ordre des naissances de ces frères; ainé, cadets, puinés. Chaque lignage a son rôle dans la société. Le lignage ainé fournit les "chefs", les suivants les "maîtres" ou "gardiens" de la porte, de la guerre, de l'eau, de l'igname, etc. Un homme issu d'un clan cadet ne pourra pas être chef, sauf s'il migre dans le lignage de l'ainé d'un autre clan. Chaque lignage a un nom différent. Le clan était ainsi structuré en savoirs et pouvoirs complémentaires tous unis pour la continuité de la société que le clan représente.
Les fonctions du "chef" ne sont pas conformes à notre modèle occidental. Il est "un calendrier vivant et le garant du bon accord de son groupe avec les forces de l'univers" (A. Bensa). Il en est donc responsable et peut même devenir bouc-émissaire en cas de mauvaises récoltes, disettes et famines. Aux Loyauté un dignitaire avait le privilège de corriger manuellement le chef!.
La terre
Le territoire du clan est dispersé, morcellé selon les lignages, l'histoire et la fonction des terrains (eau, cultures, plantes, gibier, crevettes, etc.). Il échappe aux notions de cadastre et de délimitations précises de la culture européenne. Il a une dimension mythique, le clan est issu de cette terre, elle est une femme, elle en est la mère.
Les pays et les langues
Chaque pays regroupe une dizaine ou quelques dizaines de clans cohabitant sans structure de fédération et de pouvoir centralisé, mais avec une certaine hiérarchisation et des liens puissants résultant d'échanges de femmes, d'échanges de biens et de dons. Surtout les clans y étaient soudés par une alliance matrimoniale, engagement solennel de s'entre-donner les femmes.
Il en résulte un réseau trés complexe de relations de parentés, où les Mélanésiens savent se retrouver très bien, entre les lignées masculines théoriquement fixes et les femmes qui sont les éléments mobiles d'un clan à l'autre. Les déplacements de populations liés à la colonisation n'ont fait qu'accentuer l'extension considérable de ces réseaux qui vont d'un bout à l'autre de l'archipel.
Chaque pays correspond à une même langue principale, lien fort de communication entre clans. La multiplicité des pays est l'image du morcellement de la société mélanésienne. Dans cet archipel de moins de 20000 km2 dont la terre principale n'avait pas de nom, ce qui traduit l'absence de vision d'une société unique, il y a 28 langues différentes sans compter les dialectes. Sur la Grande Terre beaucoup de ces langues n'ont plus que quelques centaines de locuteurs, voire moins.
L'organisation du village
La Grande Case, symbole du clan en était le point central. C'était une construction de forme conique, trés haute, posée sur un tertre, autre symbole du clan et soutenue par un grand poteau central, venu du fut d'un grand arbre. La flèche faîtiere qui la surmontait était une sculpture symbolisant l'ancêtre du clan.
De part et d'autre étaient les petites cases rondes des femmes. L'arrière de la grande case ouvrait sur le monde mystérieux de l'invisible, des ancêtres et de leurs pouvoirs.
Devant la Grande Case était une large allée bordée de pins colonaires et de cocotiers dont on dit que les uns symbolisaient les hommes et les autres les femmes. L'allée principale était doublée de deux contre-allées bordées d'érythrines. Ces allées étaient des zones de déambulation et de discussion. C'étaient aussi les lieux d'échange et de partage des ignames et des monnaies. C'est là aussi que se tenaient les grandes cérémonie coutumières et les fêtes associées, appelées "pilous".
Dans la chaîne ces villages étaient sur les hauteurs, le long des lignes de crêtes. Leurs billons d'ignames étaient dans les vallées souvent plusieurs centaines de mètres plus bas. Les tarodières irriguées par des systèmes sophistiqués de rigoles et de tuyaux de banbous étaient sur leurs flancs. L'établissement de l'habitat sur les crêtes correspond à une nécessité stratégique qui témoigne de conditions quasi permanentes de conflits entre groupes voisins comme c'était encore le cas récemment pour les Mélanésiens de la Nouvelle-Guinée. On trouve encore sur les grandes crêtes de l'intérieur les traces de longues successions de tertres qui semblent indiquer de vastes populations. C'est plus probablement le résultat de la migration périodique des villages obligés de se déplacer sur de nouveaux terroirs à cause de la contrainte des periodes d'assolement.
Les femmes
Element soumis de la société, les femmes devaient se courber et baisser les yeux devant leur mari. Elles étaient néanmoins le lien fondamental de cohésion des "pays" et la base des relations des clans entre-eux. Systématiqement les mariages étaient arrangés, les femmes venant d'un clan pour se marier dans l'autre. Cela leur donnait aussi le privilège de se déplacer d'un village à l'autre, même lorsque les relations entre clans étaient tendues.
Les femmes vivaient avec leurs enfants dans de petites cases rondes individuelles placées de part et d'autre de la Grande Case. C'étaient aussi les lieux de procréation mais les hommes se regroupaient aussi dans la Grande Case.
Aujourd'hui
La colonisation a entraîné le déplacement et la réduction des territoires du clan. Création administrative du colonisateur, les tribus se sont superposées à la structure clanique traditionnelle. En créant des chefs nouveaux avec des fonctions et pouvoirs résultant de concepts administratifs européens, le colonisateur a dénaturé la fonction traditionnelle.
Depuis la mise en place des missions et avec la colonisation, l'organisation des villages n'a plus rien à voir avec l'organisation traditionnelle.
Pour les individus la christianisation et l'acculturation par l'école, a profondément changé les comportements. La vie moderne envahi leur environnement et change leur comportement (dépendance de l'argent, travail salarié, changement de l'habitat, électricité, télévision, téléphone, véhicules, besoin de produits de consommation, achats des ressources se substituant à leur production).
Aujourd'hui les fonctions traditionnelles du clan n'existent plus mais il reste vivace dans l'histoire de son lignage et par l'évocation de son territoire. Même la notion du territoire du clan s'altère, les revendications de restitution foncière débordent le cadre d'origine pour impliquer certains espaces non traditionnels, mais attrayants pour des raisons économiques.
Les structures administratives modernes, communes et provinces, cohabitent mais ont pris le pas sur les structures traditionnelles. Le pouvoir politique se superpose au pouvoir traditionnel, à la différence de celui-ci il est accessible démocratiquement.
Un droit coutumier et le droit français cohabitent. Cela ne va pas sans contradictions et conflits notamment pour la transmission des héritages.
Le pouvoir économique et même le pouvoir politique exercent un attrait grandissant.
La rupture des liens matrimoniaux traditionnels est fortement engagée, des femmes libérées et salariées choisissent leurs maris et épousent des gens de clans hors pays ou d'autres communautés (européens, polynésiens, etc.). Les règles de mariage s'affaiblissent et sont promises à disparition. Le couples s'affranchissent au moins en partie des influences du clan. Leur maison devient propriété individuelle et rapproche maris et femmes autrefois séparés. Les signes de soumission au mari disparaissent et la notion d'égalité est revendiquée par les femmes. L'ascendance des ainés existe toujours mais s'amoindrit.
Les cérémonies de "coutume" sont toujours nombreuses mais elles n'ont plus les fonctions de naguère pour ressérer la solidarité des clans. Elles sont souvent devenues des actes symboliques vis à vis des européens et autres allochtones pour leur signifier les droits territoriaux du premier occupant.
Seules subsistent encore des structures agraires, claniques, lignagères.
Les langues ont perduré malgré l'influence du français langue scolaire et officielle. Elles témoignent de l'attachement des Mélanésiens à leur culture et de leur résistance au fait colonial. Mais leur survie tient aussi beaucoup à l'isolement relatif des groupes dans les réserves. Avec l'urbanisation croissante, les langues qui n'ont plus que quelques centaines de locuteurs sont vouées à disparaitre.